Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

A Pierre Guédy

A Pierre Guédy

 

Terre, un de tes enfants, ce soir, vient de mourir!

Tu souffres comme moi d'avoir vu disparaître

Le plus fou de tes fils et le meilleur, peut-être.

Pour lui ton flanc profond, terre, vient de s'ouvrir!

 

Mais qu'importe la mort! Il me reste son âme!

Son âme m'appartient, je la réclame à Dieu!

Non, tu ne m'as pas dit un éternel adieu,

Je sens là, dans mon coeur, ton immortelle flamme!

 

Tu vivras désormais divinement en moi,

Penché sur ma douleur comme sur un abîme:

Du fond de mon passé, ton image sublime

Jettera sur mes jours sa grandeur et sa foi.

 

Puisque nul ici-bas n'a compris ta détresse,

Puisqu'on a fait silence autour de e tombeau,

Je leur dirai qu'un rêve emporta ton cerveau

Et que tu t'endormis, le coeur plein de tristesse.

 

Mais non, je me tairai, tu préfères cela,

Que t'importe après tout qu'on pleure sur ta vie!

Ne te suffit-il pas de ma mélancolie

Pour endormir un peu tes craintes d'au-delà?

 

Si ta plus pure essence en l'espace demeure,

Si tu souffres encore après avoir été,

C'est donc que le néant ne t'a pas emporté

Et que tu m'attendras jusqu'à ma dernière heure.

 

Dors en paix, dors en paix comme dans un berceau.

Va, la tombe est très douce à qui sait la comprendre:

Sommeil libérateur, où l'âme doit entendre

Tomber de sa prison quelque énorme barreau.

 

O mort, évasion, farouche apothéose,

Où pour un peu de terre on gagne un paradis!

Temple dont o n franchit d'un bond tous les parvis,

Où l'âme, sans effort, monte à l'Ame des choses!

 

Si mon amour pour toi fait plus triste mon front,

Si ma croyance est vaine et grande ma folie,

Songe que désormais mes rêves s'en iront

Vers le passé qui dort à l'ombre de ma vie.

 

"Plus jamais! plus jamais!" ont sangloté mes jours,

Tandis que, le front pâle, à genoux sur la pierre,

Je murmurais tout bas quelque sombre prière,

Qu'est-ce donc que ce Dieu qui raille nos amours?

 

Se souvient-il encor de de nos rêves fidèles,

Du grand frisson d'amour qui travers nos coeurs?

Que sont-ils devenus tous ces rêves vainqueurs

Qui passaient au galop au fond de nos cervelles?

 

Où sont les soirs profonds, les soirs calmes et forts

Où le ciel, à grands coups, battait dans nos poitrines?

Ma couronne d'amour s'est couverte d'épines

Et je mêle ma plainte au choeur triste des morts.

 

Elégies (Le jardin des Dieux), 1908.



10/10/2012
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