Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

Hâte-toi

Hâte-toi

 

Hâte-toi, la mort est rapace,

Et réclame, à grand coup de pelle,

Ses anciens amants. Courbe ton aile,

Enfonce-toi dans plus d'espace,

Tu retrouveras ta chapelle.

 

Qu'on te suive ou non, que t'importe.

N'as-tu pas, pour braver la mort,

Le vent qui siffle sous ta porte,

Ce collier d'arbres, plus encor,

L'amour qui gonfle ton aorte?

 

Crois-moi, tout est préférable,

Même le pain mouillé de pleurs

A la vermine qui s'attable

Sous l'amoncellement de fleurs

Qui s'achève en odeur d'étable.

 

Si la mort souffle, ôte sa laisse;

Menace-la de ton plain-chant:

S'enfuira la vieille maîtresse,

Sous la pluie ou l'or du couchant,

Pour s'en retourner à confesse.

 

Et toi, mon enfant jaloux, folle

Aux longs yeux de sable; bandit

Qui détrousses le soir; qui voles

Ce pur joyau du paradis:

Le Silence aux mille corolles;

 

Ne crains rien, nous tenons la torche

Pour le jour, où sans apparat,

Ton cercueil franchira le porche

Du printemps qui te saluera,

O grande rose qu'on écorche.

 

Tu te figurais, pauvre terre,

Que ton poète irait tout droit

Dans la boîte, où seul peut se taire

Ce squelette ayant eu si froid,

Mais que fais-tu de sa lumière?

 

Il serait temps que la caillasse,

La boue et tout le tremblement

Qu'on nous impose fîssent place

A Dieu, qui fuit, tambour battant,

Un caillot sur sa Sainte-Face.

 

Simplicité, reprends ta bible.

Tes funérailles, ô Douleur,

Ne réclament que ce paisible

Geste. Tout là-haut, est la fleur

Que lancera l'Intelligible.

 

Quand je m'en irai sans encombre,

Sous mes voiles d'officiant,

Qu'on récapitule le nombre

De soleils qui doraient mon sang

Depuis l'heure où, sortant de l'ombre,

 

J'ai conservé sous mes aisselles

La pitié qui mouille mes os.

De ma naissance à ce coup d'ailes,

Quelle battue! O mes oiseaux,

Recevez-moi; mes nuits sont telles

 

Qu'au premier cri, mais sous ma tempe,

Où la nature a sommeillé,

Demeure une invisible lampe.

Que la mort quitte ses souliers;

Ange du soir, tiens bien la rampe,

 

La boîte où fume ma jeunesse,

Pourrait glisser contre mon toit.

Laisse pendre ta forte tresse,

Ne me demande pas pourquoi

Ma vie a détaché sa laisse,

 

Il le fallait, ma pauvre amie:

Encore une heure, et nulle trace

Du vieil enfant buveur d'espace,

Du vieil enfant, dont l'accalmie

Te salue, ô ciel qu'on dépasse.

 

Le credo sur la montagne, 1934.



21/11/2012
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