Le large
Le large
J'ai vécu sous un ciel si jeune et si vorace,
La lumière du Sud eut un tel déploiement,
Qu'il me semble avoir bu aux sources de l'espace,
Comme ces condamnés qui marchent dans le vent.
Ma bouche fut la pulpe où l'été qui chavire
Retrouva sa chaleur. Notre sang virginal
Fut le pollen qui danse et féconde et respire,
La terre s'est faite homme et fut l'amant pascal.
Nous avons chevauché dans l'humus et la flore,
Les parfums souterrains charriant des soleils,
Et sous nos pieds géants, entraînés vers l'aurore,
S'accrochait la toison des pays sans pareils.
Rêve apocalyptique où la pensée appelle,
Spasme vers l'inconnu qui vous couche vivant
Dans ce ciel qu'on emporte et qui vous écartèle,
Avec sa croix de sable et son oubli mouvant.
J'ai tenu sous mes poings, la saison démontée,
La lumière qui saoule a jailli sur mes flancs;
Mon vin à moi, celui qui verse, par bolée,
Le jour-dieu qui vendange et saigne au fond des temps.
Corps sculpté par l'absence et dont la ligne fière
N'est qu'un prolongement du désert parcouru.
O chair en solitude, ayant fait sa litière
Dans l'azur qui fuyait et que j'ai maintenu.
O large, sois ma proie et que tes ailes claquent!
Je t'ai voulu semblable à ce que j'ai rêvé,
Musical et profond comme une nuit de Pâques,
Dans la toute-puissance où l'esprit s'est lavé.
Je t'offre, pour rançon, mes plus riches minutes,
Ma soif émerveillée et mon accouplement
Avec l'herbe, le feu, les sables où je bute,
Et ma cabane d'ange où j'endormais le vent.
La croix de sable, 1927.
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