Nulle crainte, je dors
Nulle crainte, je dors
Tu pourras évoquer ma puissance d'amour
Quand je n'y serai plus, quand les volets qui battent
Se seront refermés, lentement, tour à tour,
Sur la maison qui ne tenait sur ses deux pattes
Qu'à force de soleil, de silence et d'amour.
Les marches qui craquaient sous ma forte jeunesse -
Car jusques à cent ans, j'aurai l'illusion
De porter à plein bras, et sans qu'il y paraisse,
Ma charge de bois mort - ces marches, mon garçon,
Conduisaient vers la porte où tremble ta jeunesse.
Ah! si j'ai pu guérir, ou du moins apaiser
L'homme-enfant, dont la vie, en battant la chamade,
Réclamait sur son pain une odeur de baiser,
C'est que Dieu, le vrai Dieu des oiseaux, mon malade,
Me trouvait à genoux sur l'escabeau brisé.
Ne parle pas, je sais. J'ai vu, sous ta paupière,
Cette goutte de sang qui supplie et qui n'est
Que l'adoration d'un pauvre petit Pierre
N'en pouvant plus, craintif, comme quand on renaît
En s'appuyant sur cette force qu'est sa mère.
Va, tu peux repartir, je demeure à genoux,
Le ventre soulevé par une joie énorme,
Car tu me reviendras, me tendant les sept clous,
L'épine et le marteau, ce qui sera la forme
D'un amour sans limite, ô mon Christ à genoux.
...............................................................
Nulle crainte. Je dors. Pousse un peu la fenêtre;
Mon immobilité n'est qu'apparente. Dieu,
Les arbres et le vent ne peuvent disparaître;
Mon coeur bouge au delà de cet immense adieu,
Et c'est moi qui reviens t'entr'ouvrir la fenêtre.
Ne pleure pas. Je veille. Il faut joindre les mains
Vers l'abeille envolée et remonter les marches
Qui conduisaient vers ton enfance; il faut enfin
Demeurer sage, attendre, accroupi sous mon arche,
Que la mort ait lié nos tuniques de lin.
Le credo sur la montagne, 1934.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 2 autres membres