Un bouge
Un bouge
J'entre. Une odeur de boue s'est collée à ma peau.
La fiente du désert est là, buvant le jour.
Des fruits mûrs ont crevé les couffins. Un troupeau
De femmes s'exaspère et scande, tour à tour,
La mélopée arabe et des airs de trottoir.
Un vent ivre a couché la table; les coussins
Maculés de goudron s'écrasent sous les seins
Et les ventres s'étirent:
Le bouge a retrouvé sa lueur d'abattoir.
Je bois à petits coups le breuvage qui fume.
La chambre a un sourire
De fauve et s'accoutume
Au désarroi brutal qui la tient en éveil.
J'ai crispé mon regard sur une nuque d'homme;
Des senteurs de haschisch et de bête de somme
Se plaquaient sur sa face, écrasant du soleil,
De la boue et des pleurs.
Par saccades, la rue accouplée à des chiennes;
La croûte des maisons qui baille; la chaleur
Du rut et ses hoquets et, pendu aux persiennes,
Entre une mouche verte et des colliers d'épices,
Un ventre de mouton
Dont les entrailles glissent
Et qui saigne à tâtons.
Les Versets du Soleil, 1921
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