Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

Un bouge

Un bouge

 

J'entre. Une odeur de boue s'est collée à ma peau.

La fiente du désert est là, buvant le jour.

Des fruits mûrs ont crevé les couffins. Un troupeau

De femmes s'exaspère et scande, tour à tour,

 

La mélopée arabe et des airs de trottoir.

Un vent ivre a couché la table; les coussins

Maculés de goudron s'écrasent sous les seins

           Et les ventres s'étirent:

 

Le bouge a retrouvé sa lueur d'abattoir.

Je bois à petits coups le breuvage qui fume.

           La chambre a un sourire

           De fauve et s'accoutume

 

Au désarroi brutal qui la tient en éveil.

J'ai crispé mon regard sur une nuque d'homme;

Des senteurs de haschisch et de bête de somme

Se plaquaient sur sa face, écrasant du soleil,

 

           De la boue et des pleurs.

Par saccades, la rue accouplée à des chiennes;

La croûte des maisons qui baille; la chaleur

Du rut et ses hoquets et, pendu aux persiennes,

 

Entre une mouche verte et des colliers d'épices,

           Un ventre de mouton

           Dont les entrailles glissent

           Et qui saigne à tâtons.

 

Les Versets du Soleil, 1921



06/10/2012
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