Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

Le jardin merveilleux (Scène 1 et 2)

Le jardin merveilleux

Scène 1

 

 

Cette scène se passe en pleine époque romantique, dans un jardin, un printemps. - On aperçoit le balcon de la chambre de Christiane, à travers un fouillis de roses.

 

Christiane, Pauley.

 

Christiane, seule, au milieu du jardin, tenant une gerbe de roses dans ses bras.

 

Des roses, par milliers, chantent à mon réveil!

On dirait qu'un baiser circule dans leur sang...

La terre énamourée a pris le ton puissant

Des pétales gonflés de pourpre et de soleil!

Il monte du jardin une telle allégresse,

L'air est si bleu, si chaud, si fou, si pénétrant,

Que j'ai cru défaillir, tout à l'heure, en entrant;

Tout le ciel ne m'eût pas donné semblable ivresse...

Ah! pouvoir respirer toutes en même temps

                  Ces roses!

  Sentir frémir meurs pétales ardents!

               Fiancer leur folie

Au murmure incessant qui monte vers la vie!

Et, tel jour de silence et d'ardeur,

            Recevoir en plein coeur

Tous ces bouquets, tous ces parfums, toutes ces roses,

Participer enfin au grand frisson des choses

Et sentir, dans sa chair, battre tout le printemps!


 

Pauley

 

Qu'elle doit être belle ainsi, dans le soleil,

Serrant contre son coeur ces gerbes embaumées!

(Christiane s'élance vers lui.)

Tout le jardin se donne à toi dès son réveil,

Afin de posséder tes lèvres bien-aimées.

Oh! parle, parle encor, car j'entends en ta voix

Le murmure des nids, des ruisseaux et des bois;

Tes mots ont la douceur des blanches tourterelles,

Ta voix, c'est tout le ciel avec ses frissons d'ailes;

C'est, vois-tu, comme si je possédais soudain

Un peu du soleil fou qui dore le jardin.

Christiane!...

 

 

Christiane

 

                          Seul? qui t'a conduit ici?


 

Pauley

 

              Ta voix, et puis aussi

Le parfum que ta robe a laissé dans l'espace.

Oui, ton parfum, ton chaud parfum de fleur m'enlace...

       Viens là, tout près de moi, je te dirai

                Mille choses jolies;

                     J'évoquerai

              Nos plus chères folies,

Afin d'entendre encor, dans le matin joyeux,

Ton beau rire d'enfant éclater sous les cieux.


 

Christiane

 

Rire? quand tes chers yeux sont privés de lumière!

Non, laisse-moi plutôt caresser tes paupières,

       Tout doucement, comme autrefois.


 

Pauley

 

Comme autrefois...


 

Christiane

 

Tu pleures?


 

Pauley, d'une voix lointaine.

 

J'évoquais tout l'amour qui passe au fond des heures,

Et je voyais, au fond d'un somptueux décor,

Tes mots se dérouler comme des vagues d'or!

Oui, j'évoquais, dans la forêt, entre les branches,

Ta maison avec ses milliers de roses blanches,

Ta maison, si jolie avec ses volets verts,

- Comme des yeux jaloux sur lke ciel entr'ouverts -

Ah! comme je t'aimais, ô ma petite fée,

Quand, dans ta robe blanche et toute décoiffée,

Tu me criais bonjour en te moquant de moi...

Je n'étais qu'un enfant, mais j'étais fou de toi,

Si fou, que j'ai senti, certains soirs de bonheur,

Tout un flot de parfums s'engouffre dans mon coeur!

Depuis...


 

Christiane, l'interrompant.

 

J'ai, chaque jour, apporté dans ta vie,

Un rayon d'espérance et de mélancolie?


 

Paulet

 

Depuis, tous mes instants ne sont qu'un long martyre,

Mes yeux ne sont-ils pas privés de ton sourire.


 

Christiane

 

Ne suis-je pas toujours ton jardin merveilleux?


 

Pauley

 

Un grand jardin, triste et délicieux,

Bordé de lys et de roses étranges;

Un jardin parfumé comme la chair des anges,

Frais comme un paradis, troublant comme un mystère,

Un jardin, contenant tout l'amour de la terre!

Je t'attendis longtemps à l'ombre de ces fleurs

Dont je n'ai jamais pu contempler les couleurs,

Toutes ayant pour moi conservé la pâleur

Des roses, qui, jadis, enlaçaient ta fenêtre;

Et je souffre, vois-tu, je souffre au fond de l'être,

En songeant que jamais je n'aurai la douceur

De voir au fond des nuits s'ouvrir toutes ces fleurs.

 

Christiane, prenant des roses blanches et les lui faisant respirer:

 

Ne reconnais-tu pas nos roses enfantines?

 

 

Pauley, troublé.

 

Ah! pourrais oublier leurs caresses divines?

Sont-elles pas pour moi comme un gage charmant

De ton premier aveu, lorsque j'étais enfant.


 

Christiane, tendrement

 

Ce sont toujours les mêmes...

 

 

Pauley, en lui baisant les mains

 

Alors, je les bénis, puisque tu m'aimes.

(On entend des cloches dans la campagne. - Christiane prend toutes les roses, les respire voluptueusement et les jette aux pieds du jeune homme.)

 

 

Christiane

Quel parfum! Tiens, prends-les, je te les donne!

 

 

Paulet

N'est-ce pas l'Angelus, qui, dans les branches, sonne?

 

 

Christiane

Il va falloir quitter cet horizon.

 

 

Pauley

M'abandonner encor!

 

 

Christiane

                               Pas pour longtemps, sans doute,

Je reviendrai jeter des roses sur ta route;

Ne dois-je pas bientôt habiter ta maison

                      Pour toujours?

 

Pauley

                       O mon divin amour!

Voici que va finir l'enivrante saison;

Reviendras-tu, portant dans tes bras merveilleux,

Toutes les fleurs du grand jardin délicieux?

Je crois te voir, parfois, passer devant mes yeux:

Tu m'apparais avec ton beau manteau de fée,

Comme jadis, gamine et toute décoiffée;

- Le soleil, tel un Dieu, ruisselle sur les fleurs;

De lourds pétales blancs tombent comme des pleurs;

L'air est chaud, lumineux, violent et mortel;

Et tu souris au fond du silence éternel,

Cependant qu'au contact de ta robe légère

Des roses, par milliers, croulent dans la lumière.

 

 

Chrisitiane

Tu me revois avec tes yeux de fiancé...

 

Pauley

Serrant contre ton coeur jaloux tout mon passé!

(chant de pâtre dans le lointain. - Ils écoutent, enlacés.)

 

 

 

Scène II

 

Christiane

 

Quelle est la fleur que tu préfères,

La rose rouge ou le lys blanc?

 

 

Pauley, semblant suivre une vision.

 

J'aime la rose dont le sang

Rappelle les minutes chères;

Mais j'idolâtre le lys blanc,

Pour son parfum âcre et puissant

Et peut-être, qui sait, ô chère!

Pour toutes les larmes amères

Qui m'ont brûlé l'âme et le sang,

Depuis qu'en secret, je préfère

Ta lèvre rouge à ton front blanc.

(Christiane effeuille quelques roses sur les mains de Pauley, puis dénoue ses cheveux.)

Mais quels parfums, soudain, m'enlacent, m'environnent

Sont-ce tes longs cheveux, qui sous mes doigts frissonnent

Tes longs cheveux, vivants comme des fleurs?

 

 

Christiane


Non, c'est tout le printemps qui monte vers nos coeurs!

(Elle prend toutes les fleurs dans ses bras et les lui tend.)

J'ai rapporté pour toi du jardin merveilleux

Tous ces bouquets, tous ces parfums, toutes ces roses

Afin de voir renaître un instant, sous tes yeux,

Un peu du grand soleil épandu sur les choses.

(Prenant une rose rouge et un lys.)

j'ai rapporté pour toi du jardin merveilleux

Cette rose au coeur pourpre et ce calice d'or;

- Chacune de ces fleurs doit posséder encor

Son magique pouvoir: ce lys est pour tes yeux,

Je l'ai cueilli dans le jardin des Dieux,

Là-bas, au coeur chaud de la terre!

Cette rose est plus divine encore

Car sa pourpre contient les frissons de l'aurore,

La volupté des nuits et l'éclat de mon sang!

Notre amour est semblable à cet accord puissant!...

 

Pauley

 

Semblable au chant sacré qui monte de tes lèvres!

Oh! parle, parle encor, laisse grandir m fièvre,

Car chacun de tes mots, en s'élançant vers moi,

Fait frissonner mon coeur d'un immortel émoi...

Oui, depuis que je suis dans ta chaude lumière,

J'ai senti tout le ciel frémir sous ma paupière!

 

Christiane, l'entraînant vers le soleil.

 

Ouvre tes yeux, mon bien-aimé,

Ouvre tes yeux dans l'espace embaumé,

Un grand soleil d'amour descend sur toutes choses;

Il semble que la terre, en enlçant les cieux,

Ait fait mûrir pour nous ses baisers et ses roses,

Tant l'ivresse nous rend profonds, silencieux.

 

Viens! je te donnerai ma jeunesse et sa force!

Là-bas, la forêt tremble au grand frisson du jour!

Viens, nous respirerons dans les senteurs d'écorce

Tous les parfums puissants des longues nuits d'amour.

 

La saison merveilleuse a passé sur la terre,

Entends-tu la clameur immense du printemps?

Vénus poursuit là-haut sa course légendaire

Entraînant vers son char nos matins éclatants.

 

Viens! nous nous aimerons dans la splendeur du monde,

Tandis que le soleil, ce vieux roi des sillons,

Fera jaillir de l'heure immortellement blonde

Tout un ruissellement de fleurs et de rayons!

 

Fin

 

 

 



31/01/2013
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