Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

Je vous salue, maman

Je vous salue maman

 

         Mettez-vous là, contre mes yeux,

Ma chambre morte attend que vous l'ayez rejointe;

         Cet escalier est donc bien vieux

Pour que vous ne puissiez monter que les mains jointes?

 

         Comme vos pas sont blancs. La nuit

Vous a fait peur un peu, vous voilà si petite.

         Ne parlez pas encor, je suis

Vos gestes, j'ai très mal, cette heure bat si vite.

 

         Mère, enfant jaloux, venez là,

Souriez-moi bien fort comme si j'étais sage;

         Vos mains, je ne veux que cela,

Maintenant, racontez. Que fut ce long voyage,

 

         Cette course à travers l'oubli?

Ceux qui vous ont volée à moi vous ont-ils prise

         Toute? Votre front a pâli,

Faites un grand effort pour mentir, ma Très-grise,

 

         Mes pleurs vous béniront. Comment,

Vous avez oublié que j'aimais les pervenches?

         Mais oui, ce sont vos fleurs, Maman,

J'en cueille un gros bouquet depuis trente ans. Ah! penche

 

         Ton cher visage, écoute-moi.

Par quels mots commencer, mon Dieu, faites-moi grâce,

         Des pleurs m'étranglent; j'ai si froid

Devant sa face triste où mon enfance passe.

 

         Si nous chantions, veux-tu? L'hiver

Serait moins dur et puis les choses bien-aimées

         Se rapprocheront; j'ai ouvert

Pour toi seule la chambre où dorment mes poupées.

 

         Marchons sur la pointe des jours,

De crainte d'éveiller leur naïve tendresse;

         Je les enferme à double tour

Pour les laisser mourir de rêve et de jeunesse.

 

        Tenez, ce bout de carton peint,

Avec  ses bras cassés et sa robe à fleurettes,

        Cette autre à tignasse de lin,

Et celle-ci, la rose, avec ses bons yeux bêtes,

 

        Qu'ai-je besoin de plus? Noël

Ne venant plus jeter son aumône à ma porte,

        N'osant tendre la main au ciel,

J'ai conservé mes vieux joujoux et je t'apporte

 

       Mère, leur amour très certain.

Ne leur demande pas de t'aimer davantage,

       Les malheureuses sont en train

De perdre tout leur son. Des squelettes d'images

 

       Nous attendent, allons plus haut,

Plus haut encor, tiens-moi, la rampe est si usée...

       C'est là. Ce grenier n'est pas beau,

Mais nous nous comprenons. cette caisse brisée

 

       N'évoque rien en toi, voyons...

Et cette toile d'araignée, et ce cartable

       Plein de silence et de brouillons?

Mère, je te présente un fantôme de table,

 

       Et deux miroirs fanés. Ce chant

Vient d'une cage vide où j'ai caché des choses,

       Aussi, lorsque le soir descend,

Je n'ai qu'à t'évoquer sous mes paupières closes.

 

      Me quitter n'était rien, j'ai su

Que la vie était telle et qu'il faut se résoudre

      A mourir d'absence. Vois-tu,

J'ai là un souvenir que je voudrais recoudre,

 

      Mais ma mémoire me fait mal,

Il faut m'aider. L'enfant qui joue à ne rien faire,

      Ce petit masque d'Epinal

Qui se détache, ici, était-ce toi, ma mère?

 

      Tu ne me réponds pas... tes pleurs

Mouillent mes doigts... tu veux partir... ton corps se casse

      Davantage... quelle douceur!

Je t'ai donc retrouvée? et ces pieds que j'embrasse

 

      Deviennent si petits... si miens.

Bonsoir, ma très aimée... "Il était un'bergère...

      Dors, ma jeune, je me souviens...

Notre Père qui êtes aux cieux... notre Père..."

 

La croix de sable, 1927



10/12/2012
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