Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

Tlemcen

Tlemcen

 

Bouquet d'ombre et de feu, scintillement cassé,

              Etuve du silence.

Tlemcen! rose qui joue à mourir et s'élance

              Vers un jardin passé.

 

Sultane des midis quand s'étire la terre.

              Quelle odeur de troupeau,

De sable et de palmier me hante? J'ai, si claires,

              Ces choses sous la peau.

 

Et le petit Arabe en chemise fripée

              M'entraîne, pas à pas,

A travers un dédale où tournent des mosquées,

              Et ce chant est si bas

 

Qui m'environne, l'heure est à ce point mortelle

              Que me voici, brisant

              De l'eau entre mes dents;

Je ris, je ne sais plus, je viens mouiller mes ailes,

 

               Et les terrasses sifflent,

J'entends la plainte jaune et les hoquets du sable,

               Là-bas. Mais l'eau me gifle,

Je ne suis qu'une fleur qui remue. Et des fables

 

               De chez moi ressuscitent.

Je me les dis, je fais semblant d'y croire, c'est

               Bon jusqu'aux pleurs. Plus vite,

Myrriem, Zoorah, comme vos yeux sont près!...

 

               - Il était un lésard...

- Non, non, une cigogne!... - Et ta maman arabe,

T'en souvient-il?... Tlemcen! en tout deux syllabes,

               Et dire que l'on part

 

               Pour s'en venir mourir

Contre une rue, en pleine enfance! Si vive

Malgré ma peine! Quoi, ce souffle qui m'arrive

              N'est donc qu'un souvenir?

 

               Jardins d'El-Kalaah!

Maigres rosiers du Sud, maison, ma maison basse,

               Se peut-il que mes bras

Ne t'aient pas emportée? Est-ce donc moi qui passe

 

               Ou la rivière? Appuie

Ton coeur, je me souviens. Le vent roucoule, entends:

Les pigeons d'autrefois reviennent. Quelle pluie

               Douce!... Voici le temps

 

               Des amandiers: l'odeur

Enfantine va naître; on la devine presque.

               Elle coule du coeur

Des tout petits chemins, et les arbres mauresques

 

               Avec leur gaine rose,

La source, les cailloux ont un rire de fleurs.

Tlemcen, comme un ibis, sur ma robe se pose.

               J'effeuille des couleurs

 

              En renversant la tête:

Khaïra, Senoussi, Bou-Medine, Rahal,

Petits bonshommes bleus, babouches et clochettes,

              Scintillement pascal.

 

              Qu'il fait jeune, mon Dieu,

Qu'il fait jeune! Entends... plus rien... c'était le sable,

              Il coule sous mes yeux,

Sous ma peau; mon sang pleure, entends-le, entends-le...

 

Les Versets du Soleil, 1921.



30/09/2012
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