Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

A la dérive

A la dérive

 

Minuscule planète, errante et sans boussole,

Filant, comme un voilier, toutes voiles debout;

Terre, bateau-forçat, dont la lanterne folle

Projette sa lueur vers l'horizon qui bout;

 

Millénaire berceau des hommes et des bêtes,

Arche de des nuits d'été, sans colombe et sans Dieu,

Voguant dans le ciel morne, au hasard des tempêtes,

Dans le moutonnement de l'espace et du feu.

 

Quel équipage as-tu bercé dans ta mâture,

Quel trésor d'outre-rêve avons-nous poursuivi,

Pour que du bleu s'incruste et fasse une ossature

A ce ballon gonflé de soleil et de nuit?

 

Nous qui tendons les bras vers ta grande aile morte,

Marins du souvenir que la cale a bercés,

Ainsi que des enfants avons poussé la porte,

Pour revoir les jardins d'où nous fûmes chassés.

 

Et maintenant que nous voici parmi les lames,

Luttant, sans plus attendre, infatigablement,

Faudra-t-il, du soleil, enfin prendre les rames,

Et soulever ce ciel dont l'armature pend?

 

Poursuis ta route, ô terre, et fixant les étoiles,

Fais signe au vieux routier qui gouverne tes mâts,

Tes hommes d'équipage attendent près des voiles,

Et le mousse a chanté vers ce qu'on ne voit pas.

 

Sur l'entrepont lavé de silence et de pluie,

Dans l'engourdissement des heures et des mois,

Chacun s'immobilise et lentement essuie

Les larges gouttes d'ombre où s'empoissent nos doigts.

 

Et pour qu'un souvenir vienne lécher nos faces,

Nous qui suons la vie ainsi qu'un astre mort,

Nous faudra-t-il flotter, icebergs des espaces,

Dans cet air pacifique aux échancrures d'or?

 

Terre, rends-nous les fleurs des murailles limpides,

Rends-nous ce cirque énorme où nous avons vécu,

Chassés comme un bétail et les prunelles vides,

Nous réclamons l'azur que nous avons perdu.

 

Tel un ange englouti dans les algues solaires,

Notre âme a vu s'ouvrir l'abîme émerveillé,

Et des vieux paradis secouant la crinière,

Au-delà des instants les a fait tournoyer.

 

Nous revoici, tenant la barre, le front ivre,

Avec ce goût de ciel qui nous pousse en avant;

La terre peut sombrer, nous voulons nous survivre.

Entendez-vous ces voix qui pleurent dans le vent,

 

Cet appel forcené vers l'ombre qui respire?

Gorgés de solitude et des pleurs jusqu'aux os,

Ayant franchi l'escale où la mort doit bruire,

Notre coeur va foncer vers Dieu comme un oiseau.

 

 

La croix de sable, 1927

 



30/11/2012
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