Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

Andante

Andante

 

Où donc ce plein minuit et ces étoffes saoules,

Ce déjà-vu rôdant comme un chacal? où donc

Ces flaques de silence et ces larmes de fond?

De mes très vieux bonheurs est-ce le sang qui coule?

 

Et j'ai fixé la lampe où s'abritaient mes pleurs;

Des visages de neige et des corps de madone

S'amusaient à mourir dans la fumée en fleur.

L'homme buvait le soir comme un vin monotone,

 

La musique des yeux en était à l'andante,

Et je suivais du coeur et d'un geste dément

Le fantomal amour sur mes lèvres qui mentent;

Le squelette buvait mes larmes sur leurs dents.

 

Et ses bras, haut dressés vers les choses qui passent,

Rendaient un son semblable à ces harmonicas

Qui pleurent vers l'enfance. Une odeur de lilas,

De musc et de salive élargissait l'espace.

 

Je me souviens. J'entends. Je bois à même l'ombre

Ce qui reste de moi sur ces coussins brisés;

Ainsi qu'un matelot, que la tristesse encombre,

Je titube en sifflant, les yeux lourds de baisers.

 

Mes mille et une nuits, en entr'ouvrant ma robe,

Ont fait danser ma gorge ainsi qu'un oiseau blanc.

J'ai des chaleurs de bête et des rires d'enfant

Lorsque ma nudité sous mes doigts se dérobe.

 

 

La lampe orientale et son parfum boiteux,

Ce vague aspect de bouge où la douleur s'éraille,

Tout cela m'a fait croire... et j'ai fermé les yeux,

Voulant boire le ciel qui tombe des murailles.

 

                        ***

 

Femme, voici l'instant où le silence bouge;

Mesure ta douceur à son éternité.

Si l'oubli, fustigeant tout ce qui a été,

Monte en spirales d'or vers ta face de gouge;

 

Si la chambre s'étoile à force de pleurer,

Et sur ses genoux morts laisse rouler nos têtes,

C'est qu'il n'est rien de pire. Un dieu pourrait entrer,

Je convierais son âme à ce festin de bêtes.

 

Car au sommet des soirs et des accouplements,

Dans la fumée énorme où le passé respire,

Quelque chose de nous, et j'ai bien dit, la pire,

S'abat comme un vautour sur le plaisir qui ment.

 

Fous d'immobilité, gardant sous nos paupières

Des lambeaux de silence et de renoncement,

Nous revoici pareils à ces sables mouvants

Que le mirage endort. Aveuglés de poussière,

 

Nous franchissons l'étape. Et, des pleurs jusqu'aux os,

Voluptueusement, comme il convient aux nôtres,

Après l'hymen de chair et son denier aux pauvres,

Nous respirons la nuit où planent nos berceaux.

 

Les Versets du Soleil, 1921.

 



12/10/2012
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