Arbres, lourds de frissons
Arbres lourds de frissons
Soudés entr'eux, malgré la hache; tous leurs membres
Déchaînant dans la flamme un ouragan d'odeurs,
Ils appellent, venus au-devant des décembres,
Forêt en marche au sein des premières froideurs.
Revoici, sous leur forme agreste et lumineuse,
Les beaux arbres pensifs, ô rêveurs sans sommeil,
Avec leurs longs plis d'or, pleins de clarté soyeuse,
Et ce grand air de fête alourdi de soleil.
Bouquet de feu montant plus haut que les ténèbres,
S'élançant d'un seul jet vers ce plafond boiteux
Où chacun vient buter, comme si nos vertèbres
Soutenaient les piliers de ce ciel hasardeux.
Arbres, lourds de frissons et de cloches mouillées,
Musiciens de l'ombre accouplés dans le vent,
Coeur embaumé du soir et des chaudes veillées,
N'ayant jamais rendu l'espace aussi vivant.
Car vous resplendissez à travers le silence
Comme ces souvenirs, sans visages, sans noms,
Mais dont chaque regard a la même puissance.
Ah! comme au fond des nuits, vers eux nous nous tournons.
Accueille, à grands fracas de feuilles et de branches,
O feu, ce vieil enfant qui ne sait plus mourir;
Roule-le dans ta flamme, et dans ses avalanches
Voluptueusement laisse-le s'engloutir.
Tu n'auras pas assez de lumière et d'espace
Pour celle qui revient, à travers la saison,
Le ciel au dos, sans espérance et sans besace,
N'ayant mangé que du soleil, mais à foison.
Et c'est bien là ce qui me rend toujours semblable,
Malgré la vie et malgré Dieu, car dans mon sang,
Que dore le silence, où déferle le sable,
Coule ton souvenir, ô terre qui descend.
La croix de sable, 1927.
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