Je vous salue, maman
Je vous salue maman
Mettez-vous là, contre mes yeux,
Ma chambre morte attend que vous l'ayez rejointe;
Cet escalier est donc bien vieux
Pour que vous ne puissiez monter que les mains jointes?
Comme vos pas sont blancs. La nuit
Vous a fait peur un peu, vous voilà si petite.
Ne parlez pas encor, je suis
Vos gestes, j'ai très mal, cette heure bat si vite.
Mère, enfant jaloux, venez là,
Souriez-moi bien fort comme si j'étais sage;
Vos mains, je ne veux que cela,
Maintenant, racontez. Que fut ce long voyage,
Cette course à travers l'oubli?
Ceux qui vous ont volée à moi vous ont-ils prise
Toute? Votre front a pâli,
Faites un grand effort pour mentir, ma Très-grise,
Mes pleurs vous béniront. Comment,
Vous avez oublié que j'aimais les pervenches?
Mais oui, ce sont vos fleurs, Maman,
J'en cueille un gros bouquet depuis trente ans. Ah! penche
Ton cher visage, écoute-moi.
Par quels mots commencer, mon Dieu, faites-moi grâce,
Des pleurs m'étranglent; j'ai si froid
Devant sa face triste où mon enfance passe.
Si nous chantions, veux-tu? L'hiver
Serait moins dur et puis les choses bien-aimées
Se rapprocheront; j'ai ouvert
Pour toi seule la chambre où dorment mes poupées.
Marchons sur la pointe des jours,
De crainte d'éveiller leur naïve tendresse;
Je les enferme à double tour
Pour les laisser mourir de rêve et de jeunesse.
Tenez, ce bout de carton peint,
Avec ses bras cassés et sa robe à fleurettes,
Cette autre à tignasse de lin,
Et celle-ci, la rose, avec ses bons yeux bêtes,
Qu'ai-je besoin de plus? Noël
Ne venant plus jeter son aumône à ma porte,
N'osant tendre la main au ciel,
J'ai conservé mes vieux joujoux et je t'apporte
Mère, leur amour très certain.
Ne leur demande pas de t'aimer davantage,
Les malheureuses sont en train
De perdre tout leur son. Des squelettes d'images
Nous attendent, allons plus haut,
Plus haut encor, tiens-moi, la rampe est si usée...
C'est là. Ce grenier n'est pas beau,
Mais nous nous comprenons. cette caisse brisée
N'évoque rien en toi, voyons...
Et cette toile d'araignée, et ce cartable
Plein de silence et de brouillons?
Mère, je te présente un fantôme de table,
Et deux miroirs fanés. Ce chant
Vient d'une cage vide où j'ai caché des choses,
Aussi, lorsque le soir descend,
Je n'ai qu'à t'évoquer sous mes paupières closes.
Me quitter n'était rien, j'ai su
Que la vie était telle et qu'il faut se résoudre
A mourir d'absence. Vois-tu,
J'ai là un souvenir que je voudrais recoudre,
Mais ma mémoire me fait mal,
Il faut m'aider. L'enfant qui joue à ne rien faire,
Ce petit masque d'Epinal
Qui se détache, ici, était-ce toi, ma mère?
Tu ne me réponds pas... tes pleurs
Mouillent mes doigts... tu veux partir... ton corps se casse
Davantage... quelle douceur!
Je t'ai donc retrouvée? et ces pieds que j'embrasse
Deviennent si petits... si miens.
Bonsoir, ma très aimée... "Il était un'bergère...
Dors, ma jeune, je me souviens...
Notre Père qui êtes aux cieux... notre Père..."
La croix de sable, 1927
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