A une femme se rendant au marabout
A une femme se rendant au marabout
Ecoute bien le mort. prends ce panier de figues,
Un peu d'eau fraîche, et va.
Le marabout a faim et soif. Que sa fatigue
Soit légère! Tes bras
Seront chargés d'odeurs; tu remueras ton ventre
Comme font les chevraux;
Allonge bien tes yeux. fixe la porte et entre:
Couvert de sable chaud.
De myrrhe et de jasmin, le marabout repose,
Et son squelette étroit,
Que veillent nuit et jour treize colombes roses,
Semble lever les doigts
Vers la fumée, où tourne un golfe de bougies.
D'imposibles soleils
Ont fait un mur de chaux aux étoffes. Tout plie
Devant ce bleu sommeil.
Les fontaines d'Allah n'ont pas d'écho plus sourd
Que ces piliers de terre;
Seul, un roucoulement aveugle fait le tour
Du cercueil millénaire.
Sur un trépied de nacre, au dessin minuscule,
Les versets du Koran.
Le jour, sept fois léger,pique ses libellules
Sur le papier safran.
Une humidité vierge enveloppe la tombe;
L'heure du marabout!
La prière du Sud, comme un jet d'eau, retombe;
L'Afrique est à genoux
Aux pieds du muezzin. Et l'envol est si pur,
L'appel est si vivace,
Que l'Arabe qui prie et le mort qui dépasse
Ont écarté les murs.
Des touffes de sanglots retombent sur les dalles,
Ca tape sous la voûte avec l'odeur des nuits;
Un mélange d'alfa, de mouches, de pétales
Monte du sol cassé. Et des lambeaux de puits
Ressuscitent. l'eau saute, éclaboussant le mort,
Déchirant fleur à fleur la chaîne des ténèbres;
Magnolia géant qui perce les ténèbres,
Allah jette du ciel sur le couvercle d'or
Et le fumier des soirs s'amoncelle et palpite.
J'entends comme un clavier qui bouge au fond de moi;
Mais jouez donc plus vite!
Les tempes d'un cercueil battent entre mes doigts.
Marabout de Sidi-Bou-Médine.
Les Versets du Soleil, 1921.
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