Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

Ah! ceux-là, les ai-je aimés

Ah! ceux-là, les ai-je aimés!

 

Ah! ceux-là, les ai-je aimés!

La pauvre minne à casaque grise, et l'époux

Du potager traînant dans ses longs cheveux fous

Ma jeunesse. Yeux fermés

 

J'irai là-bas, dans l'enclos

Où l'ange avait bâti mes tonnelles de Pâques.

Qu'il faisait bon pleurer et rire, sous les claques

Du soleil. On buvait pots,

 

On chantai dru, dans Couzon,

Le village à grand-père, à mes bons vieux Delorme

Qui s'en étaient venus, pleurs au dos, sous cet orme

Où s'allonge la maison.

 

Et le beurre avait giclé

Dans la poêle. Ah! le chaud rendez-vous de chasse

Qui leur servait d'asile, avec sa vierge à face

Morte, leur baillant la clé.

 

Par-dessus tout cela: moi

Et ma cage vide. Alors, on a dit: faut vivre

Comme une bête. mange et dors; prends le livre

De Job et attends. La foi

 

Qui monte d'un arbre, enfant,

Est salutaire; il faut t'étendre vers la source

Et ne rien demander. Ton unique ressource

Plane: le rossignol pend

 

Sur la branche où nous vivons,

Et dans le parfum cru qui monte des cuisines

Chantent, à gros bouillons, ces deux pauvres terrines

Que nous sommes. Nous avons

 

Du pain, notre coeur à miel,

Une alcôve et le vent. Tu peux souffler la lampe;

Seul, l'oiseau va gémir dans le jardin qui rampe

Tout en contre-bas du ciel.

 

Et jai dormi, Seigneur, j'ai pu

Dormir. Merci. mes vieux, m'entendez-vous? Je pleure.

Des siècles ont passé, sans que cette demeure

Soit morte. Comme il a plu

 

Pourtant, sur ce toit, grands Dieux,

Depuis que sous la terre, à larges pelletées,

L'absence a mis ses fleurs, celles que j'ai jetées

A plein bras, lorsque les cieux

 

M'ont dit: voilà, ils sont morts

En laissant grésiller le beurre dans la poêle

Un soir de l'autre hiver, où la dernière étoile

De Noël annonçait encor

 

Ta venue, ô compagnon,

Petite à capuche, amant de l'âtre, refuge

Des condamnés à vivre. Et tout est fini. Qu'on juge

Si j'ai mal, car ce moignon

 

Qu'est ma vie a dû fleurir

Pour atteindre ta cîme, enfance qui clapotes

Au-dessus du village, où ma vieille à capote

M'appelle, me voyant fuir.

 

Le credo sur la montagne, 1934



09/10/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres