(Je laisse à d'autres...)
(Je laisse à d'autres...)
Je laisse à d'autres ce qui bout
Dans ta marmite, ô Gloire. Une oeuvre
Est comme un fief. Un vrai manoeuvre
Bâtit son ciel, seul, et debout.
La richesse intime a sa croix,
Et ma plus haute récompense
Est ce credo qui se balance
Sur la montagne où le jour croît.
La gloire, pour nous qui saignons,
Serait la peine capitale,
Nos fronts sont trop purs; un pétale
Vaut bien un laurier. travaillons,
Serrons les coudes sans arrêt;
L'Effort a juché sa terrasse
Pour la douleur et pour l'espace:
Effeuillons Dieu, mais en secret.
Et quand la mort nous lêchera,
Qu'un goût de miel et de rosée
Soit sur sa bouche. A ta croisée
O poète, Christ renaîtra.
Sa lumière pend comme un fil,
L'éternité a sa navette;
L'amour, en poussant sa corvette
Au large, aborde, paraît-il,
Mais où? Le ciel va de guingois
Depuis que d'autres, sans vergogne,
S'en sont emparés. Leur besogne?
Croquer, comme marrons et noix,
Les pauvres bougres, tous les fous
Racleurs d'idéal, dont le ventre
Attend. Pauvre ciel qui rentre
Ses pleurs, et baisant nos genoux,
Nous fait signe que tout est vain,
Hormis la clarté qui déborde
A l'extrémité de la corde
Où s'accroche plus d'une main.
Car tous les élus seront là:
La Gloire aura son bonnet d'âne,
La bêtise, sa sarbacane,
Mais le Temps les soufflètera.
Compagnons qui mourez d'amour
Sans que la vie ait fait ripaille,
Dites, où faut-il donc que j'aille
Pour vous bercer? Que tour à tour
Chacun regagne le coteau,
Front contre font et paume à paume
Nous bâtirons un toit de chaume
D'où montera notre credo.
Si le chemin est par trop dur,
Si le pain de courage manque,
Mon coeur vous ouvrira sa banque:
L'or des sommets est en lieu sûr.
En vérité, je vous le dis,
Nous n'existons qu'à force d'âme;
Que la rançon due à la flamme
Soit ta lisière, ô paradis.
Ouvrier de l'espace, amant
De la béatitude, plaine
Où l'aube a laissé son haleine,
Me diras-tu si le jour ment?
Viens, regardons-nous, ma douleur
T'a pris dans ses racines. Frère,
Comme j'ai froid, quand dans ton aire
Siffle l'oubli. Que ma chaleur
Ranime et borde tes instants:
Voici mes yeux, voici ma force,
Tu trouveras sous son écorce
Le sève même des printemps,
Car j'espère, je vis, je crois,
J'étreins la terre quand je saigne.
Ah! pour que la justice règne,
Seigneur, dressez plus haut ma croix.
Le credo sur la montagne, 1934.
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