Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

(Je laisse à d'autres...)

(Je laisse à d'autres...)

 

Je laisse à d'autres ce qui bout

Dans ta marmite, ô Gloire. Une oeuvre

Est comme un fief. Un vrai manoeuvre

Bâtit son ciel, seul, et debout.

 

La richesse intime a sa croix,

Et ma plus haute récompense

Est ce credo qui se balance

Sur la montagne où le jour croît.

 

La gloire, pour nous qui saignons,

Serait la peine capitale,

Nos fronts sont trop purs; un pétale

Vaut bien un laurier. travaillons,

 

Serrons les coudes sans arrêt;

L'Effort a juché sa terrasse

Pour la douleur et pour l'espace:

Effeuillons Dieu, mais en secret.

 

Et quand la mort nous lêchera,

Qu'un goût de miel et de rosée

Soit sur sa bouche. A ta croisée

O poète, Christ renaîtra.

 

Sa lumière pend comme un fil,

L'éternité a sa navette;

L'amour, en poussant sa corvette

Au large, aborde, paraît-il,

 

Mais où? Le ciel va de guingois

Depuis que d'autres, sans vergogne,

S'en sont emparés. Leur besogne?

Croquer, comme marrons et noix,

 

Les pauvres bougres, tous les fous

Racleurs d'idéal, dont le ventre

Attend. Pauvre ciel qui rentre

Ses pleurs, et baisant nos genoux,

 

Nous fait signe que tout est vain,

Hormis la clarté qui déborde

A l'extrémité de la corde

Où s'accroche plus d'une main.

 

Car tous les élus seront là:

La Gloire aura son bonnet d'âne,

La bêtise, sa sarbacane,

Mais le Temps les soufflètera.

 

Compagnons qui mourez d'amour

Sans que la vie ait fait ripaille,

Dites, où faut-il donc que j'aille

Pour vous bercer? Que tour à tour

 

Chacun regagne le coteau,

Front contre font et paume à paume

Nous bâtirons un toit de chaume

D'où montera notre credo.

 

Si le chemin est par trop dur,

Si le pain de courage manque,

Mon coeur vous ouvrira sa banque:

L'or des sommets est en lieu sûr.

 

En vérité, je vous le dis,

Nous n'existons qu'à force d'âme;

Que la rançon due à la flamme

Soit ta lisière, ô paradis.

 

Ouvrier de l'espace, amant

De la béatitude, plaine

Où l'aube a laissé son haleine,

Me diras-tu si le jour ment?

 

Viens, regardons-nous, ma douleur

T'a pris dans ses racines. Frère,

Comme j'ai froid, quand dans ton aire

Siffle l'oubli. Que ma chaleur

 

Ranime et borde tes instants:

Voici mes yeux, voici ma force,

Tu trouveras sous son écorce

Le sève même des printemps,

 

Car j'espère, je vis, je crois,

J'étreins la terre quand je saigne.

Ah! pour que la justice règne,

Seigneur, dressez plus haut ma croix.

 

Le credo sur la montagne, 1934.

 

 



24/09/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres