Aïnaly-Tchesmé
Aïnaly-Tchesmé
Ce nom comme une abeille.
Ah! dans mon coeur sonore
Ces syllabes qui veillent,
Enveloppant encore
Je ne sais quel amour inutile et vorace.
Aïnaly-Tschesmé!
Ainsi qu'un chien perdu qui lècherait les traces,
Je vais, les yeux fermés,
Rasant les murs et flairant les terrasses;
Et tombant de tristesse,
En arrêt devant l'ombre où saigne sa maison,
Je fais semblant d'avoir ma laisse
Pour cette illusion
De sentir une main s'appuyer sur ma chair.
Aïnaly-Tchesmé! Etait-ce hier?
Je ne sais plus. Ce silence est si sec
Qu'il me semble qu'un oiseau mort cogne du bec
Contre ma porte. Et pourtant nous étions là, là.
Et cette rue bougeait, le silence bougeait,
Le ciel était si bas
Que du bleu ruisselait
Sur nos mains, sur nos yeux, déchirant les boutiques,
Eventrant les couffins,
Faisant sauter des mouches d'or sur les raisins
Et cela à travers une odeur indicible,
Une odeur comparable à ma terre d'Afrique,
Et cependant plus chaude et plus terrible,
Car, malgré son jasmin, son ambre et son encens,
Cette terre sent l'homme et vous brûle le sang.
Vois-tu, j'ai beau chercher au fond de ma mémoire,
Ressusciter ma vie et gratter sous la terre
Pour retrouver ton âme, un squelette en poussière
Est la seule réponse où mes jours viennent boire;
Attelant mon désir aux brancards du passé,
Je laboure ma peine,
Et les genoux cassés,
Des pleurs jusqu'au poitrail,
Je regarde au sommet d'un vitrail
Une rose qui meurt et qui bat comme un chêne.
Constantinople.
Les Versets du Soleil, 1921.
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