Attablez-vous, les hommes
Attablez-vous, les hommes
Allons, attablez-vous, les hommes, voici l'heure
Où le vin qui rassure entonne son credo;
L'hiver, à coups de poing, enfonce ma demeure,
Et le froid qui rayonne assume un tel fardeau,
Qu'il nous faudra bourrer nos gorges de clarté.
Hosanna! le vin chante et les murailles tournent;
L'horizon est créé puisque les cieux s'enfournent
Dans cette cave d'or où rit l'éternité.
Notre bouche collée aux lèvres du soleil,
Ecume de bonheur. Nous pétrissons la joie,
Notre corps soulevé de la nuque aux orteils,
Vers un point lumineux dont l'âme a fait sa proie,
Car cette table fauve, avec ses écuelles,
Son odeur de bétail et son plafond pourri,
A l'air d'un vieux vautour emboîtant sous ses ailes
Les hommes condamnés à vivre en plein oubli.
Hosanna! le vin chante et brûle nos vertèbres,
A nous les souvenirs copieux et brutaux;
Comme une symphonie emplissant les ténèbres,
La chair a balayé l'esprit dans un sanglot.
Sous les rainures d'or des nuits entrebâillées,
Notre âme, à bout de souffle, a vu s'évanouir
Ce qui reste d'amour dans nos voix éraillées,
Comme si chaque instant nous regardait mourir.
Aussi chacun de nous, pourchassé par l'automne,
Sentant monter le soir autour de ses poignets,
Décapite les jours et, tonneau qui résonne,
Sent couler jusqu'au coeur ce vin qui louvoyait.
Hosanna! le vin chante et crève nos paupières.
Comme des moribonds qui se traînent vers Dieu,
Après avoir sucé la joie, ôté la pierre
Qui recouvrait nos jours, et bu, à longs trait bleu,
Ce mélange sans nom que nous offre la vie,
Puissions-nous retrouver l'antre phosphorescent,
Où parmi les piliers, sous des lames d'encens,
Notre âme, sans mâture, un soir s'est engloutie.
La croix de sable, 1927
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