C'est à toi, mon Papa
C'est à toi, mon Papa
C'est à toi, mon Papa, qui dors avec ta pipe
Dans le gros cimetière où mon coeur a glissé,
Que j'offre cette touffe et ces nids. Je les pique
Entre deux bouts de pierre, à droite du passé,
Au hasard des soleils, sous ce grand ciel oblique.
Voici le bouton-d'or, amant des pâquerettes,
L'humble myosotis, la sauge et le bleuet;
Tous les coquelicots ont redressé leur tête,
Sachant, n'en doute pas, combien tu les aimais,
Mon pauvre vieux petit, frère de l'alouette.
Souvenir, est-ce moi qui cueille tes pétales?
Ah! comme j'ai plus chaud après ce bon repas
Sur ta tombe, Douleur. Comme Christ est plus pâle
Quand mon enfance accourt vers ton front, mon Papa.
Oui, bourre encor ta pipe; il existe une salle
Où nul n'a pénétré depuis toi: chaque chose
Est à la même place, et de même mon coeur
Et ce bout de fumée où tu tournes. Je pose,
Sur les chenêts du vent, cette adorable fleur
Qui sent nous deux, qui sent la maison qui repose.
Et maintenant, je vais t'aimer bien davantage
S'il est possible. Il fallait que cette goutte d'eau
Retombât sans arrêt dans la chambre au mirage
Où nous avons vécu, pour que nous eussions chaud,
N'est-ce pas, ô grand mort qui tournes ton visage?
Les êtres comme toi ne demandaient en somme,
En recevant ce jour qu'on nous jette en naissant,
Qu'un bout de pain, beaucoup d'amour, comme chaque homme,
L'intimité du pauvre et ce filet de sang
Qu'est la pitié, si peu, si peu de chose en somme.
Mais rapace est la vie, et le berceau qui flotte
Ressemble étrangement à l'aile du tombeau:
Un coup de fouet pour l'un, sur l'autre un bruit de botte,
Et le silence auguste entonnant son crédo
Dans ma maison où Christ a dû laisser sa hotte.
Le credo sur la montagne, 1934
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