L'ambre
L'ambre
Dis, comprends-tu qu'on puisse aimer, d'un coeur égal,
Le silence et la mer? et courbant les secondes,
Faire émerger du soir, englouti sous leurs ondes,
Ce sommeil bourdonnant muré dans du cristal?
Par l'escalier d'eau bleue aux sept marches de sable,
Me voici parvenue au fond du souvenir;
Ses tentacules d'or vont-ils me maintenir,
Ou vais-je trébucher parmi l'insaisissable?
Mais quelle odeur m'arrive à travers ce ressac?
On dirait que la mer a gonflé ses narines
Pour que des baleiniers, chargés d'outres marines,
Puisent l'ambre à pleins bras, courbés sur le tillac.
Vois-tu le ventre blond de la bête enchantée?
Emergeant de l'écume, à travers un jet d'eau,
Le monstre oriental flotte comme un ilot;
Regarde, la splendeur du ciel est dépassée,
Car l'odeur qui s'exhale est d'un bleu si puissant,
Qu'il semblerait qu'au creux des vagues, cette bête,
En bougeant ses fanons, s'irradie et s'apprête
A fendre un paradis au mur phosphoresecent.
Poursuivons sous la crypte invisible et nacrée
Le monstre qui chemine. A peine un battement,
L'eau se referme ainsi que sur un continent,
Que l'ambre-dieu aurait choisi pour empyrée.
Suintement marin, poches d'ombre et de miel
Laissant des flaques d'or sur la mer qui s'étoile;
Et me voici, tendant le front comme une voile,
Jusqu'à l'aube, amarrée à la courbe du ciel.
Postée au confluent de l'espace et du rêve,
J'assume la splendeur totale des instants,
Est-ce le sable ou le silence qui s'étend?
On dirait que la nuit s'incline et me soulève.
Par l'escalier magique aux spirales sans fin,
Me voici parvenue au faite du mirage;
Le chant des baleiniers tourne dans les cordages,
Et la mer se suspend à mon souffle enfantin.
Le poisson merveilleux a fui parmi les algues,
Seule, une tache blonde élargit ses réseaux,
L'ambre n'est plus qu'un point qui flotte sur les eaux:
Le vent a dû baiser mes prunelles qui draguent.
Et je vais, pourchassant sous les flots enchantés,
La bête fabuleuse à l'odeur boréale;
Mon sang multilié retrouve à chaque escale,
La trace des soleils que ses flancs ont portés.
Poursuivrai-je à jamais, au-delà des banquises,
L'ossature géante où s'accroche le ciel,
Quelle ombre a dépassé ce nageur irréel?
Quel est ce continent dont l'orbe se précise,
Et qu'il me semble avoir parcouru tant de fois,
Alors que mon esprit, ballotté par le songe,
Enroulait sa tristesse à ce bleu qui s'allonge,
Comme un oiseau-voilier, que la lumière boit.
Pays neuf et doré comme la chair des hommes,
O solitude aux muscle fiers, qui, chaque soir,
Couche ton souvenir au fond du bateau noir
Qu'endiamante l'heure et ce vide où nous sommes.
Et j'ai pensé, jusqu'au vertige, que chacun,
Devrait garder en soi et mûrir avec force
Cette immobilité jalouse, dont l'écorce
Recèle du néant, le somptueux parfum.
La croix de sable, 1927
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