L'escale
L'escale
Avant l'escale, un coup de reins
Petits gars!
Petits gars, c'est nous les marins
Renégats.
Hisse la voile, matelot,
Forte tête
Qui tangue comme un cachalot;
Roi-poète
Chantant dur, crevant ton filet
O nuit vierge,
Où roule, à travers tes galets,
L'âme-cierge.
Eh! là-bas, le mousse, aux filins!
La mort fume;
Faut cambrer vos torses, félins,
Gars d'écume.
L'amour siffle et l'île est au bout
Du mirage;
L'île, notre île! Tous debout!
L'abordage
Commence. Et je pleure, je ris,
Et j'appelle,
Comme un qui se souvient. proscrits,
A vos ailes!
Eh bien, petits gars, faut chanter
Et remoudre
La joie; un vin d'éternité
Pourra sourdre.
Pourquoi bâillez-vous, dents à dents,
Les yeux vides,
Jambes molles, sexe en dedans?
Qu'on décide
Qui de nous va sauter à l'eau,
Pour la frime
Ou pour tout de bon. Mon radeau
Crevé, trime,
S'époumonne, pour vous sauver,
Sacs à corde,
Vous que j'aurais voulu river
Au ciel. Horde
S'acheminant vers l'avenir,
Les vertèbres
Cassées. Rien ne peut fleurir
Quand des zèbres
On dévoré par les deux bouts
Ta lumière,
Espérance ayant vent debout.
Terre! Terre!
La vigie a signalé Dieu,
Mais au large;
Nagez, les gars, abordons-le:
Plus de marge,
Nous commandons tous, corps à corps,
Voile à voile;
Jetez l'âme par-dessus bord,
Bois la moelle
De soleils, matelot. le jour
S'échevèle
Dans un spasme, et l'île d'amour,
Sûre d'elle,
Entr'ouvre son giron. Eh bien,
Suis-je seule?
Me laissera-t-on comme un chien,
Moi, l'aïeule,
Le capitaine aux longs yeux, fleur
Des naufrages,
Mes souvenirs plantés au coeur,
Sans équipage,
N'ayant, pour reposer mon front
Qui s'égoutte,
Que la mort où nous entrerons
Quand la route
Sera terminée? A Dieu vat
O vieux songe,
L'horizon joue échec et mat:
Je replonge,
Avec l'ange sur mon poitrail.
Vaste houle
Me revoici. Quant au bétail,
Que la foule
S'en occupe, moi, je repars
A plein ventre
Vers la clarté. Les salopards
Sont dans l'antre
Où l'alcool a son lumignon,
Bah! qu'ils crèvent.
Je garde, pour tout compagnon,
La nuit brêve,
Et j'en fais ma maîtresse-amant,
Mon athlète,
Mon souteneur et mon enfant
Le poète
A la part du roi; saluez
O Paillasses,
Ma tâche est finie. Evohé!
Ma barcasse
Gifle les flots, et d'un seul bond
Va rejoindre
Ta coupole, lame de fond.
Le moindre
Châtiment que peut m'infliger
Cette garce
La vie. Alors, on peut plonger
Ma comparse?
Floc... Rien à faire... La douleur
Flotte et saigne:
A la prochaine fois, mon coeur,
Si Dieu règne.
Le credo sur la montagne, 1934
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