Le caméléon
Le caméléon
On, ce on doit rester anonyme,
N'est-il pas vrai, Seigneur,
Puisque j'ai pleuré cet être infime
Et grand comme ton coeur.
Je me souviens: on bourrait sa pipe
En buvant l'avenir.
L'absinthe, empoignant mon vieil Oedipe,
Tanguait, sans plus finir.
J'étais haute cmme ça: Tom-Pouce
Regardait en dedans,
Ses os en croix et va-je-te-pousse...
Christ desserrait mes dents.
Le pardon, déroulant sa simarre,
Enveloppait mes reins,
Tandis que l'homme, d'un rire hilare,
Entonnait ses refrains.
On m'a dit: Prends-la, je te l'ordonne.
La bête s'empoissait
A la vitre, et son regard atone
Etait vide à jamais.
J'avais grand froid, - j'étais si petite -
Quand le caméléon
Tourna sa queue, enfla sa lévite
En sifflant vers mon front.
Alors, j'ai prié, je prie encore,
Prête à m'évanouir:
L'homme insiste, j'avance, et l'aurore
Monte. Qui va mourir,
La bête ou le petiot qui recule?
Nous deux, nous deux, Seigneur!
Car moi, ton enfant, ce crépuscule,
S'est plongé jusqu'au coeur
Dans la satisfaction jalouse
De tuer sans merci
La bête saignant comme un arbouse
Sur le plancher moisi.
Oui, j'ai tué. Mon ardeur étrange
Croyait tout apaiser;
Et pourtant, j'ai surpris l'ange
Déposant son baiser
Sur ce corps à pustules dont l'âme
Eclairait ma raison.
L'homme riait: nous nous regardâmes.
J'avais, dans ma toison,
Des pleurs coagulés par la vie.
Et c'est tout, oui, bien tout.
Depuis, je saigne. Je vous supplie
Mon Dieu, je tends le cou
Afin que la douleur ne m'accorde
Aucun répit, aucun.
J'ai mérité, clous, éponge, corde;
Je réclame pour l'un
Ta mansuétude, car l'absinthe
Avec son muffle d'or
Devait humer sa peine: nuit sainte
Puisque je pleure encor.
Et pour l'autre, nul état de grâce,
Nul, devant expier
Jusqu'à la fin des siècles. Ma face
Supplie...
-Oui. Va prier.
Le credo sur la montagne, 1934
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