Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

Leur deux tombes

Leurs deux tombes

 

Pour mon Père: Mathieu Thomasset et Pierre Guédy.

 

Je me suis approchée, à tous, tous petis pas,

Du cimetière-oiseaux qui borde le village:

Ca sentait Dieu. J'ai dû prier, l'âme est sans âge:

Ma bouche remuait comme au temps des lilas.

 

Les morts me regardaient en clignant leurs paupières,

Car il faisait soleil, si grand soleil. Les croix,

Sous leur vêture folle, étaient calmes. Je crois

Qu'une chose a bougé sous la mousse et les pierres.

 

Ce devait être toi qui réclamais des fleurs,

Mon bien-aimé; vous deux, sans doute, car vos tombes,

Si distantes pourtant sur la terre qui bombe,

Gardent dans leurs godets l'empreinte de mes pleurs.

 

Père, ton vieux petit est là, sous sa capuche;

Il faut être bien sage et dormir tout ton saoûl

Jusqu'au jour où mon coeur descendra là-dessous

Pour t'apporter le pain qui fume dans la huche.

 

Et toi, mon pauvre amour, amant qui n'en peux plus,

A force de tendresse, entends-tu dans la brise

Quelqu'un qui veut courir, mais dont le pas se brise,

Comme s'il enfonçait, comme s'il avait plu...

 

Voilà, je vais remettre, à droite de la clé,

Ma capuche et ta pipe, et pour toi qui roucoules

Mon amant: cette rose où la lumière coule.

Etes-vous plus heureux, ô morts immaculés,

 

Avez-vous chaud, fait-il assez clair quand je pleure?

... C'est fini... L'Isolée a, d'un revers de bras,

Essuyé chaque larme, et printemps reviendra

Je vous le jure. Allons, fais un effort, vieille demeure,

 

Prépare les chenêts, fais bouillir à grands coups

La marmite qui tremble et remets sur la table

La farine et le miel et le vin délectable:

Nous sommes là, tes morts ont allongé le cou

 

Pour voir si tout est prêt, si, comme à l'ordinaire,

Tu souris en dedans comme un bon serviteur,

Qui, le soir terminé, dépose avec lenteur

La lampe près du lit et l'eau dans la théière.

 

....................................................................

 

J'ai dit, lorsque mes bras se furent refermés

Sur eux... j'ai dit... Mais les morts tombent en poussière

Si vite, n'est-ce pas, si vite... Pierre! Pierre!

Mes bien-aimés, mes bien-aimés, mes bien-aimés...

 

Il faut répondre au vieil enfant, même en sourdine;

La douleur et le soir tournent sur leur pivot;

Etes-vous là? je n'y vois plus... parlez plus haut...

Que voulez-vous que je devienne, moi qui dîne

 

En face d'un bout de pain et de ce pichet

Où vous avez dû boire, au temps des épousailles

De l'homme et de la terre? Où voulez-vous que j'aille,

Mes chéris, quand je tourne ainsi qu'un émouchet

 

Autour du toit, de l'âtre et de la pauvre horloge

Qui n'a rien fait vraiment, vous croyant endormis,

Pour souffrir sans retour, son tic-tac à demi

Etranglé par mes pleurs, lorsque je l'interroge?

 

Le credo sur la montagne, 1934.



19/11/2012
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