Rafale
Rafale
Ah! j'aime la tempête et son cri si vivant!
J'aime la plainte folle et lugubre du vent,
Du grand vent qui soulève avec lui nos idées,
Les berce, et les emporte au large, fécondées!
Le front contre la terre et la pensée au ciel,
Sentir battre en son coeur son rêve essentiel!
Mêler aux grandes voix qui passent dans notre âme
Ta chanson douloureuse et qui sanglote, ô Femme!
Etre l'écho profond de ce qui souffre en toi!
Se sentir soulever parce qu'on porte en soi
Plus magnifiquement encor que la tempête
Une douleur sauvage et plus d'une défaite!
Entends-tu ces clameurs? on dirait un enfer.
Eh bien, cette chanson divine, c'est la mer!
La mer! gouffre profond qui limite le monde,
Gouffre où notre pensée a tant jeté la sonde,
Merveilleux équilibre où l'âme est en suspens
Et qui fait incliner la balance du temps;
La mer! vaste cercueil où dorment nos pensées,
A qui nous confions nos détresses passées,
Nos espoirs abolis, nos rêves d'un grand soir,
Enfin tout ce qui monte en nous de désespoir!
O mer, tu peux gronder sous ma fragile barque;
Dieu m'a laissé du ciel l'indélébile marque!
O mer! berceau divin des aspirations,
Qui purifie en nous toutes les passions
Et dont le vent du large, éveillant mille fêtes,
Fait sonner tout un chant de cloches dans nos têtes!
O mer, ô vaste mer, je t'apporte mon coeur,
Mon pauvre coeur d'enfant envahi par la peur!
Couche-le sous tes pieds de bête magnifique
Et mêle sa douleur à ton puissant cantique!
Elégies
(dans "Le jardin des Dieux", 1908)
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