Jeanne Dortzal

Jeanne Dortzal

Silence équatorial

Silence équatorial

 

Silence équatorial sur l'eau, mangeuse d'hommes.

La nuit souffle en poussant les étoiles. Ca bat,

Et ça vous a une envergure - il faut voir comme,

Avec ce ciel qui n'en peut plus, la tête en bas.

 

Que voilà bien la solitude sans limite.

Où va ce plancher fou qui s'enfonce à bâbord,

Ce hublot qui s'entête et qui tourne et gravite

En entraînant mes yeux parmi des algues d'or?

 

C'est le vent qui navigue étreignant les chaudières

Dans l'odeur lumineuse et forte des minuits;

C'est le coeur du bateau qui saute vers l'arrière,

C'est tout cela, n'est-il pas vrai, qui vous poursuit.

 

L'on part, c'est si cocasse, au hasard des fumées,

Parce qu'il fait très jeune et que l'angoisse a faim;

Le même souvenir, les paupières fermées,

Creuse l'eau qui vous porte et trace le chemin.

 

Sourde immobilité que plus rien ne mesure

Et que scande le large. O tout-puissant appel,

Millénaire voyage allant à l'aventure

Parmi des soubresauts d'étoiles, par quel ciel!

 

L'Occident n'a laissé qu'une traînée opaque.

Le bateau qui fuyait ne s'est pas souvenu

Qu'il emportait le port dans sa voile qui claque

Et que c'est lui qui va ce soir vers l'inconnu.

 

Hissez donc ma tristesse au sommet des cordages

Puisque Dieu s'est trompé de route en m'emportant,

Il fallait que la nuit coulât sur mon visage

Pour me retrouver toute et pleurer en dedans.

 

Quelle magnificence apporte la minute,

Quand l'esprit déployé n'est plus qu'une clameur

Vers le néant. Je vis, dans la clarté qui lutte,

Celle des hommes, celle où j'entre jusqu'au coeur.

 

Et ce que j'ai dragué, ce qu'il m'a fallu d'âme

Pour retrouver mon allégresse au fond du temps;

Je ne fus qu'un fantôme emporté par la lame,

Mon amour en travers du corps et si vivant.

 

On a beau fuir, l'absence est là qui vous talonne;

Les nerfs sont neufs, l'air est plus rude autour de soi,

Le bateau fait un angle où le ciel s'échelonne,

Mais là où on a mal, dites, comme il fait froid.

 

Certes, j'aurai vécu comme pas un, en marge,

Voluptueusement triste et sans but, mais vrai,

Quelle lumière! Seule? allons donc, et le large?

Et ce sanglot, demain, lorsque j'arriverai.

 

Le credo sur la montagne, 1927



16/12/2012
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