Une maison de la Casbah
Une maison de la Casbah
Ouvre, voici du sable et de l'or. Tes yeux, femme,
Je ne veux que tes yeux pour assouvir le soir.
Le silence moulant étroitement mon âme,
J'ai franchi la demeure où nul ne vient s'asseoir.
Nul, hormis le troupeau d'esclaves et de nègres
Dont la vivante odeur s'écrase et rebondit.
Des flaques de misère ont dû ronger le lit,
Je n'aperçois qu'une ombre et des murailles maigres.
Quelle pitié de mâle a blotti dans mes bras
Cette rose publique? Est-ce moi qui contemple
Ces sinuosités d'idole? Mon front bat
Comme si je venais de découvrir un temple.
Un millénaire amour m'emplit; je n'ai plus d'âge.
Ayant posé ma tête à l'ombre de ses yeux,
J'attise leur silence. On dirait un roi-mage
Aux portes du désert. Je joue avec des creux
Que je remplis de sable, et le sable remue
Et tourne sur lui-même. Un regard? Plus encor,
La femme ayant gardé dans ses prunelles d'or
Ce qui ne peut s'atteindre. Et la nuit continue,
Tout est pareil; j'entends les ruelles, là-bas;
Une fontaine pauvre au sanglot métallique;
Quelqu'un frappe et s'éloigne; une odeur de lilas
Et de raisins crevés s'échappe des boutiques;
Et l'odeur est si neuve, et si neuves les choses,
Qu'en maîtrisant l'espace entre mes doigts, je sens
Monter le jour. des fleurs ruissellent; j'ai leur sang
Sur mes mains, sur mes yeux, la chambre en devient rose
Et balbutie. On se croirait à quelques milles
D'un paradis perdu. c'est bon jusqu'à pleurer
Comme la chienne, au loin. Et, debout, immobile,
J'ai salué la tombe où je venais d'entrer.
Alger.
Les versets du soleil, 1921
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